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Etre musulman en France ne devrait pas être une épreuve.

  • leabalage
  • 2 avr.
  • 4 min de lecture

Photo Karim Lemond

Depuis plusieurs années, le soupçon généralisé s’est installé dans notre pays pour cibler nos concitoyens de confession ou de culture musulmane à qui l’on signifie chaque jour qu’ils sont de trop ou qu’ils doivent se faire oublier. 


Être musulman en France ne devrait pas être une épreuve mais une manière parmi d’autres, d’être citoyen.   Le fait de ne pas manger de porc, de porter un voile, d’aller à la mosquée ou de respecter le ramadan ne devrait pas poser la moindre difficulté. 


Cepoison islamophobe  infiltre les écoles, les administrations, les banques, les assurances. Il fait de chaque femme portant le voile un problème, de chaque prêche un risque, de chaque association une menace pour la République.  Il disqualifie les chercheurs, et transforme notre Nation en forteresse défensive. 


Le musulman est devenu progressivement l’ennemi intérieur à surveiller, accusé de grand-remplacer notre prétendue civilisation  judéo-chrétienne (Sophie Bessis, La civilisation judéo-chrétienne. Anatomie d’une imposture, Paris, Les Liens qui libèrent, 2025) pour mieux cristalliser une identité pétrie d’angoisse  face au pluralisme. 


La difficulté à reconnaître les musulmans comme citoyens à part entière dotés d’une liberté religieuse égale aux autres, est ancrée dans notre histoire coloniale, une histoire faite de domination et d’exception juridique (sous l’Empire colonial français, notamment en Algérie, les musulmans devaient renoncer à leur religion pour accéder à la citoyenneté) où le musulman est toujours à civiliser, à contrôler, à intégrer, à condition de se taire. 


Comme le racisme, cette idéologie repose sur une logique d’essentialisation. Elle consiste à ramener en permanence un individu à sa religiosité supposée, en négligeant la pluralité de ses autres appartenances politiques, sociales et culturelles. Selon les sociologues Olivier Esteves, Alice Picard et Julien Talpin, l’islamophobie s’apparente d’ailleurs parfois à une variante d’un racisme anti-maghrébins plus facile à assumer car présentée comme la critique d’une religion et de ses dérives. Le droit de critiquer une religion est fondamental dans une démocratie et il ne doit jamais être instrumentalisé pour justifier ou nourrir une idéologie raciste.


Cette mécanique mortifère n’est pas sans conséquences. Les actes anti-musulmans se banalisent et prennent les formes les plus diverses : de la discrimination à l’embauche aux meurtres racistes en passant par les dégradations de mosquées ou les agressions verbales et physiques dont sont victimes  les femmes portant le voile.


Ce constat n’est pas une opinion. Il est rappelé avec gravité par les chercheurs, les associations, les représentants cultuels, et jusque dans les rapports les plus officiels. Le mois de mars 2025 a été l’occasion pour l’Assemblée nationale de se saisir de cette question, grâce à  l’initiative du groupe Écologiste et social, dans le cadre de la semaine de contrôle réservée à l’Assemblée. Le débat a eu  lieu en séance mercredi 26 mars. 


Les chiffres de la haine anti-musulman ne nous parviennent malheureusement qu’au compte-goutte. Les pouvoirs publics communiquent des données vagues, bien en deçà de la réalité constatée sur le terrain. On ne mesure évidemment que ce que l’on veut bien voir... Et en matière d’islamophobie c’est clairement le déni et les polémiques inutiles qui l’emportent. 


Polémiques inutiles en effet puisque - on le sait - le mot crispe bien plus que la chose. Il ne faudrait pas que tout cela aboutisse à  l’interdiction de  la critique de l’islam, que personne ne réclame au demeurant. Ne soyons pas dupes : les susceptibilités sémantiques servent clairement de prétexte  à l’inaction des pouvoirs publics. La régulation des discours de haine anti-musulmans dans les médias - qui participent largement à la construction idéologique du “problème musulman” -  est loin d’être satisfaisante, de l’aveu même de l’ARCOM qui ne peut sanctionner les médias que dans un cadre très restreint et sur saisine. C’est là une piste de réforme bien plus intéressante que toutes les surenchères législatives auxquelles nous assistons. 


Le tableau est d’autant plus accablant que l ’islamophobie ne se manifeste pas uniquement dans la rue ; elle a son siège au cœur des institutions. On ne compte plus en effet les lois d’exception et les pratiques administratives confondant,  par ignorance ou calcul, piété et radicalisation religieuse. La loi “séparatisme” de 2021 et son funeste contrat d’engagement républicain en est hélas un exemple éloquent.  Et la proposition, soutenue par le gouvernement, d’interdire le port de signes religieux dans les compétitions sportives officielles va, hélas, dans le même sens. 


Alors on mobilise la laïcité en se drapant dans les oripeaux d’Aristide Briand. C’est évidemment une trahison.  La République n’a jamais exigé la “discrétion religieuse” à laquelle ce principe est aujourd’hui illégitimement associé. Jaurès et Briand avaient d’ailleurs refusé d’interdire le port de la soutane dans la rue, précisément au nom de la loi de 1905, qui n’a pas été écrite pour invisibiliser mais pour pacifier et garantir à chacun la liberté de croire, de ne pas croire, ou de changer de croyance. Hélas, nous sommes devenus intolérants à l’affichage public des identités religieuses. La laïcité n’est plus l’instrument d’émancipation qu’elle était : elle est devenue aujourd’hui une religion séculière, brandie pour corseter la liberté religieuse au lieu de la protéger.


Cela suppose aussi de renouer avec l’esprit de 1905, de porter un contre-discours puissant valorisant la connaissance des cultes, en réhabilitant  l’histoire souvent méconnue d’un regard admiratif ou favorable de notre pays envers l’islam et de favoriser le dialogue interculturel pour dissiper les préjugés et les amalgames. 


Notre  République n’a pas besoin d’ennemis imaginaires. Elle a besoin de justice. Et elle a besoin qu’on lui rappelle que la fraternité ne s’éveille que là où la peur s’éteint. 


 
 
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